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Une œuvre qui porte au rêve

 

Si certains artistes se rallient aux appels de l’éphémère et à l’emprise des concepts, d’autres, au large des diktats du nouveau, demeurent fidèles à la pérennité de l’acte pictural et à son aptitude à transmettre toute la gamme des sentiments et des sensations.

Il en est ainsi de Jacques Léveillé. Ayant de longue date assumé le parti-pris d’interpréter le réel sans en altérer les fondements, mais avec des aménagements structurels et narratifs très personnels, il a pu élaborer une œuvre à consonance onirique, où l’humain passe par d’étonnantes métamorphoses visuelles. Une œuvre qui nous immerge d’emblée en terre de poésie, là où se rejoignent la veine du fabuliste et l’univers du songe, autrement formulé, l’espace émerveillé de l’improbable, et celui plus tangible du plausible.

Car aussi scrupuleusement soit-elle énoncée, la réalité est avant tout chez Léveillé un tremplin pour libérer son imaginaire, et donner vie et sens à ses personnages et à ses situations souvent teintés de ludisme. Et dans chaque composition, au-delà des apparences, se glisse la présence d’une énigme, contenue en filigrane dans la posture des protagonistes, de plusieurs détails, comme au sein de l’environnement qui les contient. C’est sur ce principe, ce renversement de l’équilibre entre le corps du sujet et les éléments qui le font basculer dans l’incongru, que se tient l’enjeu de ces histoires en raccourci plus enjouées qu’affligées. Se conforte ici, à partir de l’ambigüité de l’image et de ses prolongements, l’idée que les choses ne sont pas ce qu’elles sont, mais ce en quoi elles se transforment.

Néanmoins, quel que soit le contexte, les toiles de Jacques Léveillé proposent toutes des pistes à explorer. Chacune, dans son esprit, a sa raison d’être, mais le spectateur peut envisager une autre version. Arrêtons-nous sur quelques unes. « Don Quichotte » nous offre une maison basse couronnée par un moulin emblématique, où à proximité d’une silhouette féminine jouant à la balle, trône une sorte d’épouvantail aux terminaisons de cactus. Sans se vouloir inquiétante, l’atmosphère est faussement paisible, à l’égal d’autres toiles. Par exemple, une gitane à la robe feuilletée est poursuivie par de mystérieux objets volants; un « Visionnaire » irradie des ondes vaporeuses jaillies de ses poings fermés, alors qu’une femme sur un fauteuil, les yeux perdus, est entourée en arrière-plan d’une forêt d’ombres végétales, et que trois hôtesses juchées sur un présentoir en plein désert, s’affichent rieuses un plat en main annonçant un « Diner » prometteur. Plus loin, « Le Monde de Pierre » cible un homme grave et circonspect qui semble veiller sur une enfilade de bâtiments en arrière plan. Plus avant encore, un curieux chien bleu semble assoupi au pied de ses maîtres, quand dans les parages veille un gros insecte à l’allure de météorite égaré, auprès d’une femme à casquette, indifférente à sa présence…

Par conséquent, c’est en détournant les pièges du visible ordinaire, que Léveillé en exhume d’autres, dont les vertiges dévient l’entendement de ses critères convenus, en nous conviant à décoder une nouvelle langue du regard : la sienne. Toutefois, cette grammaire est autant la résultante d’une lente maturation stylistique que d’une riche fermentation intérieure. Bien sûr, elle procède d’un travail lucide sur la forme, la couleur, le trait et leurs conséquences sur le contenu, mais également d’une formation de graphiste et de concepteur visuel, qui ont forgé la rigueur de ses assises. Dès lors rompu aux exigences de sa pratique, le peintre resserre son approche sur son credo : camper des personnages dans des attitudes et des localisations insolites, qui confèrent à son iconographie une insinuante fantasmagorie, dans des climats rarement tendus, urbains ou bucoliques.

On l’aura compris, cet art de l’illusion savamment ajusté par un graphisme souple et régulateur et des coloris en aplat insérés dans un découpage étudié, ne peut-être apparenté à l’Hyperréalisme, parce qu’il n’épouse jamais son versant impersonnel et ne vise ni les symboles de virilité, ni la puissance de la machine. Il n’est pas non plus surréaliste, en ce qu’il ne cultive pas les délires de la dictée automatique, mais délivre une étrangeté familière dénuée d’agressivité mais non d’un érotisme feutré, que l’on pourrait ranger, si besoin était, je l’ai noté naguère, dans la filiation du réalisme fantastique.

Dans son ensemble, la peinture de Jacques Léveillé cueille certes de secrètes émotions, des instants vécus, des moments de solitude, en évoquant parallèlement l’usure des jours et parfois des connotations sociales, mais ce qu’elle privilégie essentiellement, c’est la fraîcheur incessible d’une vision qui n’en finit pas de renaître dans notre imaginaire.

 

Gérard Xuriguera

Août 2010, Paris, France

 

 

« Gérard Xuriguera met son énergie, sa plume et sa vie au service de l’art. Tour à tour et simultanément critique et historien de l’art, écrivain et commissaire d’expositions, complice des créateurs et en marge de l’Institution, il a croisé depuis les années 1970 les plus grands artistes internationaux contemporains (…). »                         Ref. : « Gérard Xuriguera, l’exception culturelle »,             Nathalie Cottin

Art evocative of dreams

 

While some artists on their artistic journeys are enticed by the ephemeral and the conceptual, others, sailing clear of dictates of avant-garde trends, remain loyal to  the pictorial statement, to its enduring quality and ability to evoke the subtle palette of human feelings.   

And this is Jacques Leveillé’s view. Having opted to interpret reality, not altering its fundamentals but devising structural or narrative modifications in a personal style,  he has created a body of work evocative of dreams, a universe in which his subjects experience astonishing visual metamorphoses. His art immerses us in a land of poetry, a sanctuary in which legend and dream intertwine, where the enchanted realm of the imaginary blends with that, more prosaic, of reality. 

As  meticulously defined as it is, reality in Léveillé’s art is merely a stepping stone to free his imagination, a pretext to infuse life and purpose to his models, often casted in spirited scenarios. Beyond the apparent, an enigma usually threads its way through his compositions, unfolding in anecdotic details, models’ attitudes, and the space  confining them. The challenge of these animated fables lies in destabilizing forces, that of  the subject, and that of the elements toppling it in a playful world. Stemming from the ambiguity of the image and its ramifications, the concept sustained here is that things aren’t what they seem to be, but rather what they are transformed into. 

In  the artist’s  mind, each scenario has its own raison d’être, but the viewer is free to envision his own. Whatever the context, Léveillé’s paintings are enigmatic playgrounds, open windows onto unknown trails.  Let us venture along a few. In “Don Quichotte”, near a low building atopped with an emblematic mill, a female figure plays ball while a scarecrow with cactus fingers gesticulates behind her… Although not threatening, the atmosphere here is falsely serene, as in other works. For instance, a gypsy swirls ingenuously in a foliated dress, unaware of being chased by mysterious flying objects. A “Visionnaire” radiates ethereal waves from his clenched fists, while a woman sits  amidst a forest of vegetal shadows, her thoughts drifting along some intimate horizon. Perched on a billboard lost in the desert, three waitresses pose smilingly, platter in hand, luring one to some promising “Diner”. Further along, “Le Monde de Pierre” focuses on a man of solemn and circumspect stance, absorbed by a row of buildings appearing in the background. Further still, a curious blue dog seems to be dozing off at his master’s foot, while in the vicinity, a huge insect resembling a lost meteorite stands close to a woman wearing a cap, indifferent to its presence. 

 

Therefore, it is by skillfully modifying the labyrinths of the visible that Léveillé creates others, challenging the understanding of his idioms and inviting viewers to decrypt a new visual language: his own. However, this grammar is as much the consequence of a slow maturation of one’s style  as that of a rich fermentation of the imagination. This obviously results from working lucidly on the shape, colour, line and all image constituents, but also from a training in graphic design and visual arts, forging the rigour of his artistic  base. Having mastered the techniques of the métier, the artist freely focuses on his credo: setting his models in unusual attitudes and locations, imbuing his iconography with insinuating phantasmagoria, in atmospheres rarely tense, urban or bucolic.

Clearly, this art of the illusion expertly balanced in a fluid design and imbedding planes of colours in meticulous layouts, cannot be linked with Hyperrealism as he doesn’t endorse its inherent notion of neutrality, nor does he fancy subjects such as symbols of virility or those of powerful machinery. Neither is he heir to Surrealism, in that he shuns  the vagrancies of automatism; he creates images of familiar strangeness, devoid of aggressiveness, impregnated at times with subtle eroticism. If need be, his art practice  would be better placed, as I mentioned in the past, in the filiation of Fantastic Realism. 

Léveillé’s art awakens secret emotions, rekindles moments of life, of solitude, evoking in parallel the erosion of time and occasionnaly, social connotations… but essentially, it echoes the freshness of a personal vision, one that lingers endlessly on the screen of our imaginary.          

 

Gérard  Xuriguera                                                             August 2010, Paris, France

 

 

"Gérard  Xuriguera’ s life is dedicated to the arts. Wearing  simultaneously the hats of art critic and  historian, author and curator to exhibitons of international stature, ally to artists and independent of the academic Institution, for more than thirty years he has  met with the most prominent  figures in contemporary  art (...)."                                                      Ref.: « Gérard  Xuriguera, l’exception culturelle », 

Nathalie Cottin 

 

                                                             

English version:                                                                 Mrs  Marilyn-Ann Ranco                                                                                                                                        Mrs  Ranco is an artist, curator, author and  lecturer.                                                                                                                               

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